Erreur Judiciaire

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Janvier 2004
Erreur judiciaire latente

Il est 19 heures 30, la nuit est tombée sur Paris et je roule place de la Nation sous une pluie qui n’en fini pas. Les vitres sont pleines de buée et j’avance au pas car je ne vois pas très bien devant moi et je ne sais pas très bien où je dois aller. On m’a dit que le magasin que je cherche est vers la Bastille. Soudain un gyrophare d’une voiture de police m’accoste. Je baisse la vitre. Les trois policiers de la voiture, une femme et de deux hommes en font autant et j’entends la femme prononcer d’une voix calme.
« - Veuillez vous garer s’il vous plait »
Je reçois quelles gouttes de pluie et je m’entends répondre.
« - Ha bon? très bien. »
Mon étonnement est-il désarmant de sincérité? Je ne sais pas. Pendant que je fais la courte manœuvre je pense rapidement à la raison probable de cet arraisonnement. Je leur ai fait, sans le savoir, une queue de poisson? J’ai grillé un feu rouge que je n’ai pas vu? En attendant, je me préoccupe mentalement de savoir si j’ai bien mes papiers sur moi et si ma ceinture est bien attachée. Non, peut être que j’ai juste l’air un peu trop suspect à trop hésiter à chercher mon chemin. J’attends que les trois policiers prennent position autour de ma voiture. L’un d’eux se penche sur ma portière et prononce, d’une voix qui se veut posée, la sacro-sainte tirade.
« - Police Nationale… pouvez vous nous présenter les papiers du véhicule, s’il vous plait »
Oui, c’est bien un simple contrôle de police.
« - Mais bien sur ».
Le policier déplie le permis de conduire et je lui indique que l’assurance qu’il demande est dans la carte grise. Il se plonge dans une lecture attentive et les autres font le tour du véhicule avec précaution comme s’il était miné. Ils sont bientôt tous les trois face à ma portière. Je suis détendu, j’attends le classique: « Tout est en règle, vous pouvez y aller ». Mais après avoir longuement examiné mes papiers, le premier policier les referme et me dit sans me regarder.
« - Savez-vous pourquoi nous vous avons arrêté? »
Ho, Hoo… Il y a donc bien une raison! Et je réponds le plus sincèrement du monde avec un sourire aux lèvres.
« - Non! pas du tout »
Dans l’air humide, le policier esquisse un sourire entendu.
« - Allons! Allons! Vous ne voyez vraiment pas? »
Je repense alors à toutes mes hypothèses de départ. Je regarde tour à tour les trois policiers et je dis d’un ton badin à la femme.
« - J’ai fait une bêtise? »
Après un long moment, elle se décide enfin à me dire.
« - Vous étiez au téléphone avec votre portable »
Je suis incrédule.
« - Mais pas du tout! Je n’étais pas au téléphone! »
Ils surenchérissent tour à tour.
« - Mais si. Mais si. On vous a vu! Vous n’aviez pas la main près de l’oreille tout à l’heure? »
Et le premier policier ajoute le geste à la parole. La situation devient ubuesque.
« - Mais non! Je cherchais… la direction de la Bastille… »
Ceci pour leur suggérer que je me grattais peut-être la tempe en réfléchissant. Je me retourne et je montre les vitres et j’ajoute.
« - Et puis il y a toute cette buée… »
Ceci pour leur suggérer que la visibilité n’est pas bonne du tout. Ni pour moi, ni donc pour eux. Je tente de la jouer collègue.
« - Sincèrement! entre nous… je ne téléphonais pas! »
Mais les trois policiers insistent.
« - Mais on vous a vus tous les trois! Vous étiez au téléphone! Vous nous accusez de mentir alors? »
Je ne veux pas les contredire. Je tente de la jouer à la Salomé.
« - Mais non, même si vous m’avez vu au téléphone, cela ne veut pas dire que j’étais au téléphone »
Comme je ne suis pas bien sûr que la nuance a été bien saisie et pour éviter d’avoir à me justifier je renvoie la recherche de la solution sur l’accusateur. Je tente de la jouer gestion relationnelle des conflits. Je leur demande.
« - Mais comment vous le prouver? »
Le premier policier sourit.
« - Oui, comment le prouver… vous avez un portable sur vous? »
Je m’exécute.
« - Oui, dans ma poche ici »
Et je sors le portable. Le policier hasarde un peu gêné.
« - On ne va pas tout de même vous demander de voir vos derniers appels? »
Je n’attendais pas mieux.
« - Mais si, mais si, regardez »
Et il échange mes papiers contre mon portable. Pendant qu’il pianote avec l’air de savoir ce qu’il fait, je regarde ma montre en faisant mine de réfléchir et je précise.
« - Mon dernier coup de fil… je l’ai passé il y a… une heure ». Ce qui est exact. J’ai passé un coup de fil pour savoir où se trouve le magasin que je cherche.
Cela doit correspondre à ce qu’il voit car il ne dit rien. Je veux lever tous les doutes et je lui propose.
« - On peut même voir les appels reçus »
Il m’arrête dans mon geste.
« - C’est ce que je suis en train de regarder aussi ».
J’attends le verdict confiant et effectivement, dépité il me rend le portable. Malgré tout ils ne sont pas encore près a admettre qu’ils ont peut-être mal vu. Le troisième policier jette ses dernières cartouches en dansant sur un pied.
« - Il y a peut-être un deuxième portable? »
Je pars d’un éclat de rire et ils décident de ne pas aller plus loin. Les preuves sont suffisantes. Mais je tiens tout de même à les rassurer pour qu’ils ne partent pas avec un mauvais pressentiment. En les balayant tous du regard, je leur dis:
« - Écoutez, on considère que c’est réglé et je vous dis la vérité. Ok? Je n’étais pas au téléphone. »
Ils me laissent et la femme me souhaite une bonne soirée. Je range mes affaires et je reprends ma route. Je me dis que le policier a pu lire le journal de mon portable sans avoir à rentrer le code. Ce qui veut dire qu’il était déverrouillé. Ce qui veut dire qu’il aurait très bien pu, comme cela m’est déjà arrivé, se déclencher dans ma poche. Et là. Comment leur expliquer que je ne téléphonais pas avec un portable en communication? Autre chose. Que se serait-il passé si, dans une autre situation certes, ils n’avaient pas vu quelqu’un avec un portable, mais quelqu’un avec… une arme?

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